Il s’agit de ma contribution
en 2006 aux actes du colloque de l’Office des Normes Internationales et des Affaires
Juridiques de l’UNESCO, organisé à l’occasion du 60e anniversaire de
l’Organisation par le Directeur dudit Office, le Dr. A. Yusuf, actuellement Juge à la Cour Internationale
de Justice (CIJ). L’intégralité de cette contribution est publiée dans
les actes du « Panel n° 3 », p.217 et s de l’ouvrage intitulé
comme suit :
« L'action normative à l'UNESCO : Elaboration de règles internationales sur l'éducation, la science et la culture ».Volume I. Éditions UNESCO / Martinus Nijhoff Publishers. 2007. Ouvrage sous la Direction du Dr. A. YUSUF publié en Français et en anglais: Standard-setting in UNESCO, volume I: normative action in education, science and culture, essays in commemoration of the Sixtieth Anniversary of UNESCO.
Les
thèmes développés dans ce volume couvrent les procédures d’élaboration de règles
internationales sur l’éducation, la science et la culture, ainsi que les
méthodes de mise en œuvre et de suivi des Conventions. Ma contribution était
intitulée :
« Protéger la dignité
humaine face au progrès scientifique et technologique ».
« la science est un outil puissant. L’usage qu’on en fait dépend
de l’homme, pas de
l’outil ».Einstein
Pour comprendre les idées
exprimées dont certaines sont accessibles par les éditeurs sur internet, il
faudrait aussi consulter le deuxième volume de cet ouvrage qui contient la
version intégrale des instruments normatifs adoptés à ce jour par l’UNESCO. La
première partie de Conventions, Recommandations, Déclarations et Chartres
adoptées par l’UNESCO (1948–2006) contient les conventions et accords
adoptés soit par la Conférence générale soit par des conférences convoquées par
l’UNESCO seule ou conjointement avec d’autres organisations internationales. La
deuxième partie regroupe toutes les recommandations adoptées par la Conférence
générale et la troisième partie toutes les déclarations.
Dans ma contribution, je me
suis référé aux textes du deuxième volume pour tracer l’histoire du
corpus juridique élaboré par l’UNESCO depuis 60 ans afin de démontrer que le
divorce entre le progrès scientifique, d’une part, et la sauvegarde de la dignité humaine d’autre part, était
considéré soit comme temporaire,
avant leur réconciliation, soit
comme une déviation de
leur compatibilité.
En effet, l’acte constitutif exige des fondateurs de
l’UNESCO de « resserrer la collaboration entre nations
par l’éducation, la science et la
culture” afin d’assurer le « respect
universel de
ce que la Charte
des Nations Unies reconnaît à tous les peuples ». Or quand il s’agit d’identifier
ce que la Charte
de l’ONU a proclamé au nom de ces peuples, on trouve « leur foi dans
la dignité et la valeur de la
personne humaine et dans les droits de l’homme » en vue de
« favoriser le progrès social et instaurer de meilleures
conditions de vie dans une liberté plus grande ».
Cette liaison dynamique et fonctionnelle entre la charte de
l’ONU et l’acte constitutif de l’UNESCO dans leur référence commune à
la dignité humaine a été, à l’origine à
toutes les conciliations entre le principe de la dignité humaine avec le
progrès social (concept plus large que le progrès technique
et technologique).
Cette conciliation n’a pas été cependant facile tant
sur le plan normatif que sur le plan opérationnel durant les 60 années de
l’existence de l’UNESCO. Suivant les époques, les concepts de dignité et de
progrès social et technologique ont amené les Etats membres de l’UNESCO à
mettre l’accent plutôt sur l’une ou l’autre dimension, tout en cherchant à maintenir l’interaction, entre les deux
dimensions et à
réduire ainsi le décalage entre deux éléments : d’un côté, les faits
technologiques, caractérisés par l’inégalité de développement des nations, et de
l’autre, le droit,
caractérisé par des conventions de coopération
à concilier avec les nobles idéaux de dignité, d’égalité et de justice
et des obligations de devoir être proclamées par la fameuse Déclaration des
Droits de l’homme.
N’est-t-il
pas vrai que le concept de dignité est considéré comme
le fondement des droits de l’homme, à concilier avec la liberté de l’expression
et la liberté de la recherche scientifique comptées également parmi les
libertés fondamentales de l’homme ?
Ma contribution ne se limite pas à la référence à l’article
27 de la Déclaration
des Droits de l’homme qui évoque le nécessaire épanouissement du droit de
chaque individu « de participer au progrès scientifique
et aux bienfaits qui en résultent » (article 27 de la DUDH). Elle évoque également le signal d’alarme de la Déclaration de 1966
sur les politiques culturelles. En proclamant le « principe de
l’égale dignité des cultures », cet instrument de soft law fut le
premier à mettre l’accent sur la
différence entre progrès technique et progrès de l’humanité. Ce principe de
l’égale dignité des cultures n’a été repris que 40 ans plus tard par la
convention sur la diversité culturelle de 2005 comme un principe autonome pour
témoigner de la volonté de l’UNESCO de ne pas réduire la culture à la seule
culture technologique standardisée et unique.
Il en
est de même de la convention sur le patrimoine culturel immatériel de 2003 dont
l’article 2 portant sur la définition de ce patrimoine exclut les rituels ou
les actes portant atteinte à la dignité des femmes ou aux droits de l’homme en
général. Il en est de même dans la convention anti-dopage de l’UNESCO et les
Déclarations universelles sur la
Bioéthique.
En effet, dans les instruments de l’UNESCO on n’exige
pas seulement de soumettre le projet de recherche scientifique ou
d’expérimentation biotechnologique à certaines conditions comme le respect
du consentement du patient, de sa vie
privée et de la confidentialité de ses données génétiques, qui sont tous des
droits subjectifs concrets dont la mise en application intéresse le principe
de dignité humaine, conçu comme un principe « cardinal »
ou une « matrice » fondant ces doits subjectifs.
On va plus loin dans la
mesure où l’on interdit au nom même de ce principe de dignité certaines
recherches ou expérimentations comme le clonage reproductif et tout acte qui
lui est similaire. Ces actes sont proclamés interdits, même si le patient
totalement capable et autonome donne son consentement à l’expérimentation et
même s’il a un droit subjectif et individuel de disposer de sa manière de vivre
et de créer une famille.
Mais de ce droit du
possible, riche en virtualités où le génome humain se cumule de manière
symbolique au patrimoine de l’humanité où la dignité est à la fois un idéal
démocratique et un fondement pour l’interdiction de l’utilisation lucrative du
corps humain, et enfin, où la dignité s’attribue aussi bien à l’homme qu’à sa
culture, peut-on tirer un concept juridique cohérent du principe de la
dignité humaine ?
Pour certains juristes, ce principe s’avère trop « mystérieux »
pour que sa portée juridique soit réelle, d’autant plus qu’il est bien
difficile de passer de l’accord sur le principe aux applications concrètes dans
des matières très technicisées comme le clonage thérapeutique ou l’euthanasie
laissées pour le moment aux débats des Comités d’éthique prônés par l’UNESCO.
Cela dit, la dimension polysémique de la
dignité constitue à la fois sa principale force et sa principale faiblesse.
En fait, son caractère d’ordre public
permet parfois de dissimuler sous une forme juridique une morale, similaire à
celle de la notion des bonnes mœurs ou de décence dont la signification est
aussi variable qu’imprécise au sein de chaque système juridique. Cependant,
cette analogie a des limites dans la mesure où la dignité ne peut être réduite
à une simple situation de fait ou de bonnes mœurs et implique un dualisme
indispensable à sa force.
Le double aspect du principe de dignité
est manifeste en ce que les droits dont
il constitue la source doivent se concilier avec d’autres droits et libertés.
D’un côté, le droit
subjectif confère sa valeur à la dignité et à la personnalité de l’homme.
Quand les Déclarations
de l’UNESCO proclament que « l’identité d’une personne ne saurait se
réduire à des caractéristiques génétiques, puisqu’elle se constitue par le jeu
de facteurs éducatifs, et personnels complexes, ainsi que des relations
affectives, sociales, spirituelles et culturelles avec autrui, et qu’elle
implique un élément de liberté »[1],
elles cherchent à confirmer que la dignité de l’homme est une question
interpersonnelle impliquant la non instrumentalisation de l’homme et sa protection dans ses rapports aux autres qui
ne le sollicitent qu’en raison de ses caractéristiques génétiques.
De l’autre côté,
principe matriciel de conciliation entre les droits de l’homme, la fonction de
la dignité humaine avec les instruments de l’UNESCO semble dépasser l’usage des
droits subjectifs qu’elle fonde et tend à se fusionner dans la notion de
l’ordre public international de l’humanité tout entière ou vers un standard
normatif traçant les lignes de conciliation entre liberté et droits subjectifs.
Ce qui est certain, c’est que la dignité humaine inhérente à la personne
humaine se présente comme un élément constituant d’un concept juridique admis
par tout le monde, à savoir l’ordre public. Dans ce sens, le discours juridique de l’UNESCO a ainsi transformé la dignité humaine en un
standard juridique conditionnant la notion de l’ordre public international à
l’origine de cette limitation et du « pouvoir scientifique » et du
principe de l’autonomie de volonté du patient.
[1] Dans le même sens, l’article 3 de la
première Déclaration précise que le génome humain « renferme des
potentialités qui s'expriment différemment selon l'environnement naturel,
social [sanitaire et éducatif] de chaque individu ».
No comments:
Post a Comment